jeudi 24 mars 2011
De nouveaux conseils professionnels : 9 règles fort bien pensées que je ferais bien d'appliquer plus souvent
Mes camarades de 8comix et moi même avons eu récemment l'occasion d'échanger quelques mails sur nos manières respectives de travailler.
J'avais du coup rédigé à cet effet un bref résumé de quelques "règles d'or" que je prétends appliquer dans mon boulot, règles que je me propose de partager avec vous, puisque certains lecteurs m'en avaient fait la demande.
Votre temps étant précieux, je vais essayer de vous livrer une version courte des quelques astuces et réflexions utilisées pour faire ma tambouille.
1) Alors d'abord, je me tiens constamment aux aguets de choses nouvelles à découvrir. Etre constamment curieux, c'est fondamental pour entretenir une culture générale.
Curieux de fiction, de romans, de ciné, bien sûr, mais aussi du boulot que font les gens (c'est quoi, en vrai, être policier, boulanger, inspecteur des impôts ?...), d'infos scientifiques, géopolitiques, etc...
Faute de temps, cette curiosité est forcément un peu superficielle (sauf exception), mais elle est transversale. Je pense qu'un bon scénariste devrait avoir une "petite idée" d'un peu tout.
Toutes ces petits cailloux accumulés, ces connaissances patiemment amassées (le travail d'une vie) vont ressortir d'une manière ou d'une autre quand je me mettrai à écrire.
Elles vous permettront en tout cas de livrer au lecteur une sorte de "matrice" de votre univers qui soit la plus réaliste possible. Un lecteur qui voit apparaître une énorme erreur dans votre scénario ressemble à Néo qui repère un bug dans la Matrice : ça le fait "sortir du récit", voir les ficelles, perdre foi en la crédibilité de l'ensemble de ce qu'il voit, et un scénariste doit toujours éviter ça à tout prix, et donc essayer de donner l'illusion qu'il sait tout sur tout (même si c'est : primo totalement insupportable pour son entourage, et secundo une tâche impossible et sans fin, un peu comme Sisyphe poussant son rocher à jamais).
Et toujours comme un illusionniste, le scénariste va bien sûr tâcher d'attirer l'attention des lecteurs sur ce qu'il maîtrise, et cacher honteusement le reste.
Faut bien faire avec le matériel qu'on a en magasin, hein.
2) J'ai toujours sur moi un petit calepin pour noter des idées et des observations, dès qu'elles me traversent l'esprit (si je ne note pas tout de suite une idée, je l'oublie presque systématiquement).
3) Pour trouver des idées, j'utilise aussi beaucoup un petit exercice de collage inspiré des surréalistes : des photos de films (découpées dans mon mag bobo préféré, Télérama), que je mélange au hasard avec des titres d'autres films, et puis je vois quel mélange bizarre me saute aux yeux : ça ne marche qu'une fois toutes les 30 tentatives, mais quand ça marche, ça peut vraiment faire "tilt", m'apporter une idée complètement neuve et inattendue, que je note tout de suite et que je développerai un jour ou l'autre.
Ca m'a beaucoup servi pour des albums comme "7 Psychopathes" ou "L'île aux 100 000 Morts" (l'idée de l'école de bourreaux vient de là).
4) Bon, j'ai lu "La dramaturgie" de Lavandier (Ed Le clown et l'enfant) et "Story" de Mc Kee (Ed Dixit), qui sont des mémos utiles pour se rappeler des grandes règles de la dramaturgie, je vais pas vous saouler avec ça.
Ces bouquins sont passionnants, mais attention à ne pas en faire des évangiles indéboulonnables. Lisez ces livres, puis oubliez les, passez à autre chose.
Ne pas respecter un manuel à la lettre près, suivre parfois un peu plus son instinct (quitte à se planter) peut amener des histoires moins "calibrées" et donc plus vivantes.
Et certains "accrocs" de votre scénario, certaines aspérités, peuvent devenir les raisons même de la singularité de votre projet.
5) Après, quand il faut se mettre à écrire, histoire d'éviter la crispation liée à la peur de la page blanche, je commence le projet par la partie qui m'est la plus facile : ça peut être un dialogue en milieu d'histoire, que je développe et étoffe petit à petit.
Et quand ça bloque, je vais voir une autre partie de l'histoire. J'essaie de toujours éviter les trop longs blocages, les choses qui me font trop peur.
Par contre, attention, il faut bien sûr passer du temps sur certains problèmes et blocages narratifs, pour stimuler le cerveau (et le faire fonctionner pendant votre sommeil, ce qui marche souvent très bien).
Mais j'essaie juste de ne jamais être trop longtemps "laborieux" : quand ça bloque plus d'une demi-journée, je passe à autre chose (une autre partie du scénario, ou carrément un autre projet), je change de direction, pour que tout ça reste ludique, que ça ressemble à une école buissonnière.
6) Un peu comme un sculpteur qui passe son temps à fignoler un détail, puis fait deux pas en arrière pour voir l'ensemble de la sculpture, puis revient sur le détail, puis refait deux pas en arrière, je passe aussi mon temps à fignoler un détail de narration (une page, un dialogue), puis je "fais deux pas en arrière", et je regarde la structure générale du récit (synopsis), pour voir si les grands équilibres sont respectés, puis je reviens à la page, etc...
Ca permet en particulier de vérifier que je n'ai pas perdu certaines "grandes lignes de force" en cours de route (ce que j'appelle les "grandes lignes de force", c'est par exemple mon envie initiale que mon récit "fasse peur" ou "soit super fun pour les enfants", ou "ressemble à un bon épisode de Jason Bourne").
Ce recul permet souvent de constater (avec amertume) que mon beau projet "façon Star Wars" est en réalité en train de ressembler au "Monde Merveilleux des Télétubbies", par exemple. Il est alors temps de corriger le tir ... ou au contraire d'accepter ce changement de cap, et de partir dans cette nouvelle direction.
C'est bien aussi, parfois, de se laisser porter par les évènements et d'entamer un voyage inattendu.
7) Je ne commence jamais mon scénario en étant sûr à 100% du "grand thème central", ou de la "symbolique cachée" qui s'y trouve (par exemple : "la folie", ou "la paternité", etc...) : je laisse tout ça apparaître en court d'écriture , sans vouloir forcer le trait (sans quoi je risque de rendre une sorte de copie scolaire sur un sujet donné).
Si symbole il doit y avoir, laissez le apparaître tout seul, sous vos yeux.
Mais quand j'identifie parfois une sorte de thématique naissante qui semble récurrente dans l'album, alors je peux éventuellement chercher plus de doc sur le sujet, puis je relis l'ensemble des pages déjà écrites avec ce thème en tête, et je retouche quelques passages pour amplifier très légèrement le mouvement d'ensemble, sans forcer, quitte à ce que personne d'autre que moi ne repère ces changements : ils feront partie de la symbolique cachée de l'oeuvre... en plus de tous les trucs que j'y aurai mis complètement inconsciemment, et que je ne (re)découvrirai que 3 ou 4 ans plus tard, en pleine séance d'analyse, à ma plus grande stupeur.
8) Créer une histoire, c'est tout d'abord écrire, écrire, écrire, en toute liberté, trouver un maximum d'idées, sans les juger.
Et ensuite seulement, les trier avec la plus grande sévérité.
Un bon scénariste est un scénariste qui a un milliers d'idées pendant ses séances de travail, mais qui n'en garde que 10 et fout les autres à la corbeille.
9) Une règle d'or absolue que je ne respecte jamais assez : il faut aussi beaucoup glander, se reposer et prendre des vacances. Ce qui est bizarrement plus facile à dire qu'à faire.
Bien travailler, ce n'est pas être constamment sur le qui-vive, 24h sur 24, à culpabiliser tout le temps de ne pas en faire assez.
Bien travailler, c'est être 100% concentré quand on doit bosser, et 100% la tête ailleurs quand on fait autre chose.
Voilà, ces quelques points me semblent suffire amplement pour le moment, chers petits galopins.
Mais rassurez-vous, j'aurai encore plein de trucs à vous dire la prochaine fois (sur les personnages, les styles de récit, etc...)
D'ici là, que les plus créatifs d'entre vous courent vite chercher de la colle, des ciseaux et se bricolent de très beaux récits bien jolis.