Autant vous dire que ça m'a fait quelque chose de voir autant d'auteurs de BD réunis ensemble pour une cause commune.
A cette occasion, le Snac m'avait demandé de renouer un peu avec mon activité syndicale et de prononcer un discours.
Je me permets de vous en communiquer ici le texte complet (écrit avec l'aide précieuse des membres du Comité de Pilotage du Snac : qu'ils en soient ici infiniment remerciés).
"Cher(e)s ami(e)s
Cette marche, nous l'avions prévue il y a déjà
plusieurs mois, pour dénoncer la précarité grandissante et alarmante dans
laquelle se trouvent de nombreux auteurs de BD.
Mais avant d'en revenir à ces préoccupations
profondes, et suite aux récents évènements qui ont bouleversé le pays, il est
évident que si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est aussi pour rendre un hommage aux victimes des attentats des
7 et 9 janvier.
A toutes les victimes bien entendu, mais plus
particulièrement, puisque nous sommes aujourd'hui à Angoulême, aux journalistes
et caricaturistes de "Charlie Hebdo", parmi lesquels beaucoup d'entre
nous comptaient des ami-e-s proches. Car comme l'ont prouvé les Grands Prix
d'Angoulême remis par le passé à Reiser, Pétillon, Wolinski ou Willem, les
liens entre Bande-dessinée et Dessin de Presse ont toujours été forts et
nombreux : et si nos manières de travailler sont différentes, nous appartenons
bien à la même famille.
C'est pour eux tous que nous avons donc une pensée
particulière aujourd'hui : pour les survivants, qui n'ont maintenant plus
d'autre choix que de réapprendre à vivre; et pour les disparus : Cabu,
Wolinski, Charb, Tignous, Honoré et tous ceux qui ont été tuées juste parce
qu'ils travaillaient à Charlie Hebdo et qu'ils y "dessinaient et
imprimaient des petits bonzhommes avec des gros nez".
Et il y a d'ailleurs là une situation suffisamment
absurde et tragi-comique pour être soulignée : il a fallu que des terroristes
s'en prennent à des caricaturistes pour qu'on se rappelle que dessiner n'était
pas si anodin.
Et à l'heure où, dans notre profession, certains se
prennent à douter, se demandent si ce qu'ils font a un sens, s'il y a encore le
moindre intérêt à faire nos "petites cases à la con", nos
"petites BD", tout seul dans notre coin, ces meurtres constituent une
violente et aberrante piqûre de rappel : il faut croire que dessiner peut
parfois avoir du poids, puisqu'on peut se faire tuer pour ça.
Bien sûr, ça ne fait pas des auteurs de
"Charlie-Hebdo" des super-héros, des saints ou des martyrs, et ça
fait encore moins de tout dessinateur de BD un résistant ou un militant
engagé (et non, effectivement, les
"Aventures de Rififi le Canard" ne sont pas toujours un brûlant
pamphlet lancé à la face du Pouvoir) : mais, tout de même, oui, il faut croire
que s'exprimer par le dessin doit avoir un tout petit peu de sens, puisque des
milliers de personnes, en France et dans le monde entier, ont brandi des
crayons lors des manifestations des 10 et 11 janvier.
Or le paradoxe absolu de cette situation, c'est
qu'alors même que l'on voit fleurir partout les preuves d'un puissant
attachement au dessin, à la liberté d'expression et à la culture, notre
profession se porte mal, nous obligeant aujourd'hui à manifester notre colère.
Il y a presque 40 ans, il a fallu que les
auteurs et artistes "descendent dans la rue" pour être entendus et
pour que l’État crée un régime de sécurité sociale adapté à leurs réalités.
Il a fallu insister encore - et pendant des années - pour que les
auteurs bénéficient en 2012 du droit à la formation professionnelle continue, alors même que ce droit est reconnu pour tous les
français - et depuis bien longtemps - par la Constitution.
Mais, au terme de ces avancées sociales
durement acquises et alors que le marché du livre connaît une crise importante,
une lettre du président du Conseil d'Administration du RAAP a provoqué l'incompréhension, et la colère dans toute la
profession, auteurs et artistes confondus.
Cette lettre du 5 mai 2014 annonçait une réforme du régime de retraite
complémentaire obligatoire, dont les modalités, décidées sans concertation avec
les auteurs, reviendraient à nous retirer chaque année l'équivalent d'un mois
de revenus – alors même que l'immense majorité des auteurs gagne moins que le
SMIC.
Depuis cette date, les auteurs et artistes
- et en particulier ceux du groupement Bande-Dessinée du Syndicat National des
Auteurs et Compositeurs - se sont mobilisés et ne cessent de dénoncer un
dialogue à sens unique : car le Conseil du RAAP ne nous entend pas, annulant
même les dernières réunions prévues, ce qui nous semble pour le moins
irresponsable alors même que notre mouvement ne faiblit pas, bien au
contraire : il prend de l'ampleur.
C'est pourquoi nous nous tournons
aujourd'hui vers Le Président de la République, Monsieur François Hollande.
Nous vous demandons, Monsieur le Président
- ainsi qu'à Madame Marisol Touraine, Ministre des Affaires Sociales - de
prendre vos responsabilités et de négocier avec les véritables partenaires
sociaux : les organisations représentatives des auteurs et artistes ! Nous
vous demandons d'intervenir pour qu'une réelle concertation s'établisse avec
des interlocuteurs pertinents et prêts à avancer avec nos représentants.
Nous ne remettons pas en cause le principe
de la proportionnalité, mais le taux trop élevé - de 8% - choisi sans
concertation, qui est irréaliste, inacceptable et contre-productif au vu des
revenus moyens de l'ensemble de la profession.
Monsieur le Président, faut-il vous
rappeler que les auteurs et les artistes, outre leur importance symbolique et
culturelle, sont aussi à l'origine d'une richesse économique qui confère à leur
secteur la troisième place de contributeur au PIB, devant l'industrie
automobile ? Faut-il aussi vous rappeler que les artistes et auteurs ne
pèsent rien sur l'assurance chômage - puisque nous n'en bénéficions pas - et
pas plus sur les comptes de la Sécurité Sociale et de l'Assurance Vieillesse ?
Monsieur le Président, cette marche des
auteurs pour la création, vous devez le comprendre, n'est qu'une des premières
démonstrations d'un mouvement social inédit pour une profession pourtant
réputée individualiste et désorganisée, mais aujourd'hui mobilisée et
déterminée.
Il est désormais de votre responsabilité
de faire, en lien avec le Ministère de la Culture, le Ministère des Affaires
Sociales, et les organisations représentatives des auteurs, les bons choix pour
la culture et pour le rayonnement de la France.
Car nous pouvons vous assurer que
nous resterons attentifs et mobilisés."(toutes les photos présentées ici sont de Chloé Vollmer-Lo).