mercredi 10 octobre 2018

« Polaris ou la Nuit de Circé » sort cette semaine !!




… et puisque cet ouvrage (de Gwen de Bonneval et de votre serviteur) traite d’érotisme et de pornographie, je profite de l’occasion pour revenir sur la brève polémique ayant entouré « Petit Paul », le dernier livre de Bastien Vivès, qui a créé une vive émotion sur les réseaux sociaux (et sur lequel on m’a posé une brève question lors de mon passage au « Nouveau Rendez-Vous » de Laurent Goumarre, mais sans que je puisse avoir le temps de m’attarder autant qu’il l’aurait fallu).

Il y aurait en effet beaucoup à dire autour des réactions suscitées par le livre comico-pornographique de Vivès. Mais quitte à choisir un premier angle d’approche, je commencerai par le versant pornographique (avant de revenir sur le versant comique).

Car on a beaucoup écrit sur les forums que « Petit Paul » était un ouvrage pédo-pornographique, mais sans que ce terme soit si évident à définir. 
Si j’en crois un dictionnaire, il y a pédo-pornographie quand un récit mêle des mineurs à une forme ou une autre de sexualité, et de fait, on a tendance à vite l’associer à de la pédophilie (= le fait pour des adultes d’éprouver du désir pour des enfants). 
Mais quand j’ai effectué mes entretiens de « L’herbier Sauvage », je me suis rendu compte que de nombreuses personnes pouvaient éprouver des fantasmes mêlant monde de l’enfance et érotisme, sans pour autant qu’on puisse parler de pédophilie. Quelques exemples en vrac : une femme qui - enfant - aurait voulu coucher avec un personnage adulte de la série animée « Ulysse 31 », ou bien encore une dominatrice me racontant que nombre de ses clients aiment se faire « infantiliser » par elle et se déguisent en bébé qui mériterait « une bonne punition », etc…



Dans le cas de « Petit Paul », je pense donc que nous avons plus à faire à un fantasme « d’infantilisation » qu’à un fantasme pédophile (Bastien Vivès « jouant » le temps de ce livre à être un enfant de 9 ans à gros sexe, et subissant moult avanies de la part de femmes à gros seins). L’auteur cherche donc bien à « exciter » son public – mais pas un public de pédophiles (lequel – j’en ai peur – va plutôt se tourner vers de la pornographie vidéo, avec tout ce que cela sous-entend d’insupportables abus commis envers des enfants, ce que mon post ne cherche à minorer ou à justifier d’aucune manière, je pense que vous l’aurez compris). 
Reste que Vivès flirte avec des tabous, et que cela peut énerver, je vais y revenir.

Revenons maintenant au registre de l’humour, dont « Petit Paul » me semble aussi amplement relever : un humour potache, volontairement outrancier et de mauvais goût, où la transgression est précisément recherchée pour l’effet de surprise (ou de sidération) qu’elle va apporter. 



Un éclat de rire, c’est souvent notre réaction à quelque chose d’absolument inadapté, et une bonne chute est généralement une chute qu’on n’a pas vu venir. Utiliser des gags « hénaurmes » (voire les accumuler sans vergogne, comme dans le chapitre « Petit Paul va à un goûter ») me semble donc d’abord être une manière pour Vivès de déclencher des rires (éventuellement nerveux) par une surenchère scato-zoo-débilo-pornographique. Au passage, précisons que ce type de blagues peut aussi emporter l’adhésion d’adeptes du 8ème degré, qui sauront pertinemment que le gag est débile – et riront précisément parce que le gag est débile. On pourrait comparer ça une à une blague de Toto, du type : « Sa maman demande à Toto d’aller acheter du jambon, Toto va au marché mais dépense l’argent pour des bonbons, du coup quand il revient à la maison, il se coupe la fesse et la donne à sa maman, qui dit « Mhmm, il est bon ton jambon, Toto »). Un enfant va rire parce que la blague est transgressive (« Hihi, Toto il se coupe la fesse, hihi !! »), mais un adulte pourra en rire aussi - par exemple en l’entendant proférée par Steve Mc Queen dans « Le Grand Détournement » - précisément parce ce qu’on ne s’attend pas à ce que Steve Mc Queen nous raconte une blague d’enfant de 6 ans.



 Ceci étant dit - on le sait depuis Pierre Desproges et Valérie Lemercier - « on peut certes rire de tout, mais pas avec n’importe qui »… Et c’est là qu’Internet et les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la « dynamique de réception de la blague ».

Imaginons en effet que deux individus (enfants ou adultes) se racontent l’histoire de Toto évoquée ci-dessus, mais au fond d’une église pendant une cérémonie d’enterrement (pour passer le temps, ou comme moyen instinctif pour contrer leur propre tristesse, que sais-je). Hé bien, Internet serait alors comme un micro amplificateur qui permettrait à toute l’audience d’entendre cette blague, à la plus grande colère des premiers rangs qui enterrent un proche et qui pourront trouver que ce n’est « ni le lieu ni le moment » et se sentiront légitimement offensés.

Nul doute qu’une personne pour qui le thème de la pédophilie est infiniment douloureux puisse se sentir blessé par le fait qu’un auteur « blague » sur le sujet. Car la blague ne lui était pas destinée, mais a fini – par un effet de propagation propre à internet (et facilité par des algorithmes qui flairent et amplifient les sujets clivants qui attirent des « clics ») par lui arriver aux oreilles, au risque de laisser croire que sa souffrance est niée. 
A certains égards, c’est le même phénomène qui a pu se produire pour les caricatures de Mahomet, lesquelles étaient avant tout destinées à un public occidental (supposé connaître et soutenir les principes de laïcité et le droit à la liberté de parole) mais ont parfois été découvertes à l’autre bout de la planète par des musulmans qui ont pu croire qu’on s’en prenait ostensiblement et spécifiquement à leur religion. Il y a là un langage culturel qui n'est pas commun et difficilement partageable.




(Parenthèse : puisqu'on parle de mécanismes médiatiques, je présume aussi qu'une partie de l'énervement des internautes est lié au fait que tous les ouvrages de Bastien Vivès sont à peu près systématiquement chroniqués favorablement dans les médias - quelles qu'en soient les qualités réelles -  ce qui peut parfois être un brin irritant, reconnaissons-le. Il n'est d'ailleurs pas impossible que Vivès lui-même ait eu envie de "tester" les limites de cet accueil toujours enthousiaste en écrivant "Petit paul". Fin de la parenthèse.)

Mais pour revenir à certaines réactions d’internautes énervés, j’ai eu l’impression qu’à delà du cas précis de « Petit Paul », nous avions peut-être aussi affaire à un sentiment plus général de « ras-le-bol » d’une partie de la population française vis à vis d'un excès de transgression : comme si l'on craignait – au fond – que plus rien n'ait de valeur dans notre société, que plus rien ne puisse être "sacré" ou « respecté », au risque d’une perte générale de repères.
Un sentiment que j’ai aussi perçu lors de mes entretiens de l’Herbier Sauvages, quand des contributeurs et contributrices me confiaient ne pas être toujours très à l’aise avec la permissivité ambiante (« post-68 » pour le dire vite), et les perpétuelles injonctions médiatiques à « jouir sans entrave » pour ne pas paraître « coincé du cul ». Ils/elles se sentent parfois "contraint-e-s", "forcé-e-s" par la pression sociale.




Or cette possible dérive vers un excès de permissivité, c’est précisément un des sujets de « Polaris », puisqu’il y est question d’un Cercle Mystérieux, nommé Circé, qui tente de réinventer l’érotisme en s’imposant des contraintes, des « nouveaux tabous », temporaires et circonscrits dans le temps, de manière à s’obliger à inventer de nouvelles pratiques. 

Car là où je peux partager certaines des craintes évoquées sur des forums, c’est lorsqu’elles évoquent les retombées psychiques et sociales de l’omni-présence en ligne d’une certaine pornographie : misogyne, dégradante, de plus en plus dure, sans imagination aucune, et pourtant accessible à tous et toutes… y compris à des mineur-e-s qui pourraient hélas finir par croire qu’il s’agit là d’une représentation crédible du réel (et je profite au passage pour rappeler « qu’une autre pornographie est possible », respectueuse de ses acteurs et actrices, mais aussi de la diversité de ses spectateurs et spectatrices, mais qu’elle est alors payante, ce qui est tout à fait normal car tout travail mérite salaire - cf cet article du blog « Oh Joy Sextoy », en anglais).


« Polaris » se veut donc un début de réponse – imparfaite mais enthousiaste – à cette problématique contemporaine : en prônant l’imaginaire et la créativité (à travers l’enquête policière et la quête personnelle de son héroïne), notre récit tente d’inventer une 3èmevoie, entre la « trop grande permissivité » actuelle évoquée ci-dessus et les « bonnes mœurs » d’un passé corseté où l’on pensait devoir réglementer la vie érotique et intime des hommes et des femmes.

Je reviendrai dessus, mais vous souhaite d'ores et déjà une bonne lecture !